E-learning ou plutôt style vieille école ?

Dans de nombreux pays du monde, les écoles furent fermées et l’enseignement à domicile, à l’ordre du jour. L’apprentissage en ligne a maintenant fait son entrée dans la plupart des familles. Peu d’écoles ont mis à la disposition de leurs élèves du matériel didactique analogue et l’apprentissage électronique est célébré comme la méthode privilégiée et à la pointe du progrès en cette période de crise. Toutefois, de plus en plus de voix critiques se font entendre.

Il convient de souligner que la technologie numérique moderne offre un énorme potentiel. Toutefois, elle comporte aussi des risques. Après tout, l’homme est un être « analogue » en chair et en os, qui a besoin de contenus analogues pour son développement. Il est très important, ces temps-ci, de trouver une approche de l’apprentissage en ligne respectueuse du développement et surtout du cerveau. Nous préparons aujourd’hui les fondements de notre avenir.

Un slogan de tous les partisans est que, grâce à la salle de classe numérique, les contenus d’apprentissage ne sont plus ennuyeux, mais qu’ils peuvent être transmis de manière variée, innovante et passionnante. Mais, dans la vie, tout n’est pas toujours « amusant » et « divertissant ». Notamment la vie professionnelle exige beaucoup d’assiduité, de persévérance et de volonté. L’apprentissage n’est pas toujours passionnant et l’école, c’est du travail. De nouveaux contenus d’enseignement doivent être développés et non pas simplement « consommés ». Paul Thomas, professeur à l’Université Furman, déclare : « L’apprentissage en classe est une expérience humaine. La technologie est une distraction lorsqu’il s’agit des compétences d’écriture, d’arithmétique et de pensée critique. »

Fait intéressant, dans la Silicon Valley, où de nombreux géants de ces technologies comme Google, Facebook, Microsoft, Apple et Co ont leur siège social, il y a aussi une école Steiner-Waldorf – une école qui se concentre délibérément sur un environnement d’apprentissage sans technologie. Comme elle le dit elle-même : « Les enfants d’aujourd’hui passent beaucoup moins de temps à interagir avec d’autres enfants, leurs parents et la nature. L’attrait du divertissement électronique dans notre société médiatique influence le développement émotionnel et physique des enfants et des jeunes à de nombreux niveaux et peut les priver de la capacité d’établir des relations profondes avec d’autres personnes et leur environnement. [1] Pour cette raison, les élèves ne sont initiés aux ordinateurs et aux tablettes qu’au niveau secondaire. Avant, une grande importance est accordée à l’utilisation active des sens par les enfants. Que ce soit dans le jardin de l’école, en chantant et en se bougeant, en tricotant des chaussettes ou simplement en pliant des serviettes en tissu pour les enseignants de maternelle – cette dernière activité n’est pas seulement une thérapie occupationnelle insipide, mais favorise le développement cérébral des plus petits ! Étonnamment, les trois quarts des enfants de l’école Steiner-Waldorf ont au moins un parent qui travaille dans l’industrie technologique. Alan Eagle, par exemple, directeur exécutif des communications chez Google, y envoie aussi ses enfants. Il dit même la chose suivante : « L’idée qu’une application ou un iPad puisse apprendre à mes enfants à lire ou à calculer de tête est ridicule. […] Je rejette avec véhémence l’idée que des aides techniques soient nécessaires à l’école primaire. »

À propos, Steve Jobs, le fondateur d’Apple, était également considéré comme un parent « low-tech ». Il a rigoureusement restreint l’accès de ses enfants à la technologie. Les écoles numérisées qui portent son nom ont d’ailleurs échoué aux Pays-Bas. (C’était moins la faute de l’ordinateur portable, mais plutôt du principe de l’apprentissage complètement autodéterminé). De nombreux parents de l’industrie de ces technologies limitent strictement le temps d’utilisation des smartphones et des tablettes à leurs enfants. Alors pourquoi nos enfants devraient-ils apprendre numériquement ?

 « Cela me fâche de voir nos écoles sacrifiées sur l’autel de la technologie. Des foules entières d’enseignants et d’instructeurs courent comme des lemmings dans le but d’avoir leur école branchée et connectée. Les parents rayonnent lorsqu’ils sortent leurs cartes de crédit pour acheter des machines électroniques pour leur enfant, pensant que cela garantira une solution rapide à tous les problèmes ou à tous les problèmes ou un début de carrière /un début de carrière sur les chapeaux de roues, » écrit Clifford Stoll dans son livre « LOG-OUT – Why computers have no place in the classroom and other high-tech heresies ». (« DÉCONNEXION – pourquoi les ordinateurs n’ont pas leur place dans la salle de classe et d’autres hérésies de la haute technologie ») Et il sait de quoi il parle, puisqu’il a joué un rôle dans le développement de « l’Arpanet », le précurseur de l’Internet. Les progrès technologiques actuels ont été réalisés par des hommes et des femmes qui avaient tous encore reçu une formation analogue. Il est donc faux de croire qu’une société disparaîtrait technologiquement dans l’oubli si ses enfants ne recevaient pas un enseignement numérique dès l’école primaire.


Comment le cerveau se développe-t-il ?

Le neurologue allemand et directeur médical de la Clinique de psychiatrie et psychothérapie III à Ulm, Prof. Manfred Spitzer, est une sommité dans le domaine de la recherche sur le développement cérébral. Il affirme très clairement que les médias numériques, quels qu’ils soient, ne doivent pas être accessibles aux enfants avant l’âge de 14 ans ou plus. C’est parce que le cerveau des enfants n’est pas encore capable de traiter correctement la surcharge sensorielle. Ce qui peut sembler un déficit est l’évolution pure ! Jusqu’à environ la puberté, les enfants doivent apprendre et expérimenter avec autant de sens que possible.

La personnalité d’un enfant se développe au cours des premières années de la vie. Seulement au cours de la première année, 700 synapses (connexions nerveuses) se forment dans le cerveau toutes les secondes. Ces connexions neuronales sont la base des compétences langagières, de la créativité et des compétences sociales futures. C’est un processus permanent. Ce n’est qu’à environ l’âge de six ans que le cerveau de l’enfant est développé à environ 95 %. À la puberté, le cerveau remet de l’ordre : il déconnecte toutes les connexions cérébrales considérées « inutiles » afin d’augmenter les performances. Cela signifie que tout ce qui a été appris et qui n’est pas ou seulement rarement utilisé est « supprimé ». Manfred Spitzer compare ensuite le cerveau à une « boîte à chaussures paradoxale ». Le paradoxe, c’est que plus il y en a déjà, plus il y a de la place. Plus le cerveau est entraîné, plus il y a de « connexions cérébrales », plus on peut en rajouter. Il est donc relativement facile d’apprendre une sixième langue ou un troisième instrument. La prédisposition physiologique est déjà acquise. D’ailleurs, cela s’applique aussi aux adultes : si vous ne vous fiez qu’à votre système de navigation aveuglément, vous finirez par perdre votre sens de l’orientation. Le « googling » constant affaiblit notre mémoire à long terme – la démence rampante peut en être le résultat. Quand on transfère uniquement les numéros de téléphone, les rendez-vous, les tâches et les listes de courses dans le monde numérique, on n’entraîne pas son cerveau. Et le cerveau, c’est comme les muscles : ce qui n’est pas entraîné, finit par s’atrophier. Ce n’est pas sans raison que l’expert Spitzer parle de « démence numérique ». Des études ont montré, par exemple, que si vous passez trois heures à utiliser un ordinateur l’après-midi, vous oubliez la plupart de ce que vous avez appris à l’école le matin. Ce qui se passe sur l’écran déplace le contenu de la mémoire de la salle de classe, le flot de stimuli est tout simplement trop grand pour le cerveau.

La célèbre neurologue Prof. Gertraud Teuchert-Noodt est une grande partisane de l’enseignement analogique « à l’ancienne ». Elle ne voit pas d’alternative dans l’apprentissage en ligne et l’enseignement numérique et elle précise clairement : « Je dis que les téléphones mobiles, les ordinateurs portables et les tablettes n’ont pas leur place dans les écoles. » Elle l’exprime de façon radicale : « Le cerveau ne peut pas mûrir ainsi. » Le cerveau des enfants n’est pas encore suffisamment développé pour travailler avec les médias numériques d’une manière efficace et sûre. La devise « le plus tôt sera le mieux » est stupide et irresponsable. Les médias numériques entravent le développement d’une mémoire fonctionnelle, en particulier, mais pas seulement chez les jeunes. Ces déficits sont irréversibles : « Une génération perdue est en train d’émerger, et je trouve irresponsable que la pédagogie aille de l’avant avec la numérisation », prévient le Prof. Gertraud Teuchert-Noodt

Les médias numériques sont rapides, trop rapides pour nos enfants. Ces derniers ne peuvent pas du tout supporter la vitesse dans leur cerveau. Ils ont besoin de calme et de lenteur. « Avoir une enfance sans médias numériques est la meilleure introduction dans l’ère numérique. » Les soi-disant jeux d’apprentissage devraient également être évités. Parce que même là, vous n’avez souvent pas besoin de connaître les réponses exactes, le programme vous donne les réponses au moyen d’une procédure de sélection – la vraie vie n’est pas une affaire de choix multiple.

Nos enfants doivent de moins en moins écrire car un clic suffit. Mais apprendre et vivre, c’est plus que simplement cliquer, copier et coller. Nous avons oublié, ou n’avons jamais fait l’expérience, qu’il y a une grande différence si nous écrivons un texte à la main, si nous le tapons ou si nous le traitons simplement par copier-coller. Mais pourquoi est-ce ainsi ? Si vous prenez des notes à la main, vous ne pouvez pas, en raison du rythme plutôt lent de l’écriture, noter simplement tel quel ce que vous entendez, mais vous êtes contraints de mettre les informations sur papier de la manière la plus brève et concise possible. L’information entendue est ainsi traitée et mémorisée plus profondément. Une étude correspondante faite avec des étudiants a confirmé ceci : une semaine plus tard, le « groupe d’écriture » pouvait mieux se rappeler des faits et des concepts de la conférence que ses camarades du « groupe ordinateur portable ». Des expériences similaires menées sur des enfants de maternelle et d’école primaire ont donné les mêmes résultats. Qu’il s’agisse d’apprendre de nouvelles lettres ou de mémoriser du contenu : ceux qui avaient écrit quelque chose à la main pouvaient mieux s’en souvenir plus tard ! [2] L’apprentissage devrait être fait, on ne le répétera jamais assez, avec autant de « sens » que possible. Pour l’apprentissage en ligne, il faut au maximum un sens et demi (le sens de la vue et celui du toucher).

La linguiste américaine Naomi Baron recommande l’utilisation de livres (d’apprentissage) analogues. Notamment la lecture de textes plus longs est plus laborieuse sur l’écran. L’approfondissement de la lecture, le souvenir de ce qui a été lu, l’accès personnel et l’implication émotionnelle sont aussi plus difficiles. Selon le spécialiste du livre néerlandais Adriaan van der Weel, la capacité de se souvenir est renforcée par l’emplacement physique de ce qui est lu. Le lecteur relie les passages de texte à leur position dans un livre particulier. Si vous faites défiler des pages pendant la lecture, au lieu de tourner les pages, ou si vous lisez plusieurs textes sur le même appareil, vous n’avez pas cet effet.

« L’éducation numérique » dans la pratique

Dès 2012, l’Australie a investi près de 2,5 milliards de dollars dans la numérisation de son système scolaire. Seulement quatre ans plus tard, le pays a commencé à retirer tous les ordinateurs portables des écoles. Pourquoi ? Parce que les élèves ont tout fait avec les ordinateurs portables – sauf apprendre. Les États-Unis, la Turquie, la Thaïlande et la Corée du Sud ont vécu des expériences similaires. En 2015, l’OCDE a souligné dans un rapport que les résultats d’apprentissage des enfants travaillant souvent avec des ordinateurs à l’école sont beaucoup plus médiocres.

Une étude [3] publiée en 2017 a montré que plus les enfants utilisent les médias numériques, plus leur développement linguistique est entravé. C’est parce que les médias numériques ne transmettent pas le ton de la voix, les expressions faciales ou les émotions de l’autre personne.

Il n’est plus inhabituel pour les jeunes de passer plusieurs heures par jour devant un écran. La conséquence négative est qu’ils s’éloignent de la nature. De plus en plus d’enfants et d’adolescents préfèrent passer leur temps à l’intérieur plutôt que dans la nature. Mais ce sont précisément ces impressions et ces stimuli sensoriels diverses qui stimulent la croissance du cerveau des enfants ! Voulons-nous également entretenir cette dépendance aux contenus numériques par l’apprentissage en ligne dans nos écoles ?

Le manqué d’humanité

L’apprentissage est une activité sociale. Paul Laurent, ancien employé d’Intel et de Microsoft (qui, soit dit en passant, envoie également ses enfants à l’école Steiner-Waldorf) déclare à ce sujet : « Le dévouement exige un contact humain. L’échange avec l’enseignant, avec les pairs. » L’école est beaucoup plus qu’une simple salle où le savoir est transmis. La numérisation des écoles a entraîné la dissolution de la classe (esprit de groupe). Le processus d’apprentissage est trop fortement individualisé et pas en fonction de l’âge. Même les enfants de l’école primaire doivent soudainement organiser eux-mêmes leurs temps d’apprentissage, décider quand ils veulent travailler sur quel contenu et sous quelle forme et quantité. Cela demande beaucoup d’autodiscipline, que tous les enfants n’ont pas « par nature ». L’enseignant devient un simple compagnon d’apprentissage qui n’a même pas besoin d’être présent physiquement. Mais la psychothérapie nous a appris que le seul facteur efficace est la relation entre le client et le thérapeute. À l’école, ce n’est pas différent. Là aussi, la relation entre l’élève et l’enseignant est l’élément le plus important. Dans un environnement confiant et constructif, l’élève puise une grande partie de sa motivation à apprendre et de sa volonté à faire un effort. Aucun ordinateur, ni aucun programme d’apprentissage, aussi sophistiqués soient-ils, ne pourront jamais remplacer cet environnement social et réel. Par conséquent, les élèves des pays où l’enseignement est fortement numérisé n’ont montré aucune amélioration de la lecture, des mathématiques ou des sciences.[4]

Il ne faut pas oublier non plus que nous exposons souvent nos enfants et nos jeunes à un rayonnement électromagnétique constant lorsqu’ils apprennent avec des ordinateurs et des tablettes. L’éducation numérique signifie également un WiFi généralisé dans les écoles. En effet, de nombreux ordinateurs portables et tablettes ne peuvent être désormais connectés à l’Internet ou au réseau scolaire que sans câble. En outre, la transmission de données sans fil ne conduit pas à un enchevêtrement de câbles et peut être disponible partout dans l’ensemble du bâtiment scolaire. Cependant, cela ne fonctionne que si un routeur WiFi est installé dans (presque) toutes les salles de classe. En outre, l’Office fédéral allemand de l’environnement a écrit à ce sujet :« Les points d’accès WiFi, les routeurs WiFi et les stations de base de téléphones sans fil sont placés de préférence dans le couloir ou une autre pièce où l‘on n’est pas constamment présent. »[5] L’apprentissage numérique n’est donc pas compatible avec cette recommandation  !

Compte tenu de ces nombreux désavantages de l’apprentissage numérique et de ses conséquences en partie irréversibles, nous devrions bien réfléchir à la question, quand les médias et les formes d’apprentissage numériques ont vraiment du sens et nous devrions les utiliser seulement de manière mesurée et adaptée en fonction de l’âge – pour le bien de nos enfants et de l’avenir de notre société !

 

Sources:

[1] https://waldorfpeninsula.org/curriculum/media-technology-philosophy/

[2] https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0956797614524581
https://www.pens.com/blog/the-benefits-of-handwriting-vs-typing/

[3] https://www.aappublications.org/news/2017/05/04/PASScreenTime050417

[4] Rapport de l’OCDE 2015:  Connectés pour apprendre ? Les élèves et les nouvelles technologies – Principaux résultats: http://www.oecd.org/fr/education/scolaire/Connectes-pour-apprendre-les-eleves-et-les-nouvelles-technologies-principaux-resultats.pdf

[5] https://www.umweltbundesamt.de/en/press/pressinformation/not-to-be-sniffed-at-stuffy-air-in-schoolrooms-the

https://www.naturalscience.org/fr/news/2020/09/e-learning-ou-plutot-style-vieille-ecole/